mardi 1 janvier 2013

Dialogue interreligieux


Pourquoi l’Arabie Saoudite investit dans le dialogue interreligieux

C'est un paradoxe qui n'a pas échappé aux Autrichiens qui, lundi 26 novembre, ont protesté contre l'inauguration officielle du "Centre international roi Abdallah Ben Abdelaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel", entièrement financé par l'Arabie Saoudite. Le royaume wahhabite, tenant d'un islam ultra-orthodoxe, est l'un des rares pays du Golfe à ne pas autoriser officiellement la pratique d'autres religions sur son sol et la construction de lieux de culte. Sa démarche, -implanter en plein ceur de l'Europe un lieu consacré à une meilleure connaissance des religions entre elles-, peut donc apparaitre pour le moins ambiguë.
Ce n'est pas forcément le cas, selon des spécialistes de l'Arabie Saoudite et des relations interreligieuses. "La politique menée dans le royaume et l'initiative de Vienne ne sont pas antinomiques", selon Fatiha Dazi, spécialiste des pays du Golfe. "Elle s'inscrit dans la suite logique du 11 septembre et la volonté de rayonnement mise en oeuvre depuis lors par l'Arabie Saoudite, soucieuse d'apparaitre comme un pays plus "clean". Il apparait plus stratégique pour le royaume de porter cette parole à l'extérieur, en Occident, que de réformer en interne, d'autant que sur ces questions, le leadership saoudien est plus ouvert que sa population, très conservatrice".
Autre paradoxe, à la frontière de la géopolitique et du religieux : si le royaume n'autorise pas les nombreux travailleurs immigrés chrétiens présents sur son sol à pratiquer publiquement leur religion, "on voit, dans la crise syrienne, les responsables saoudiens plaider régulièrement pour la protection et la préservation des minorités chrétiennes du pays, comme un élément de stabilité", souligne Fatiha Dazi.
"Le centre de Vienne est une tentative pour redorer le blason de l'islam, comme religion du débat et de la rencontre", confirme un spécialiste de ces questions au ministère des affaires étrangères. "On peut considérer que c'est une vitrine, mais, étant donnée la place particulière qu'occupe l'Arabie Saoudite dans le monde musulman, cette initiative est significative. C'est aussi pour le roi [âgé de 89 ans], convaincu de l'importance de ce dialogue, une sorte de testament, en dehors de visées géopolitiques".
Le roi chez Benoît XVI 
Le roi Abdallah s'est engagé depuis le milieu des années 2000 dans des discussions avec les autres religions. En 2007, il est le premier roi saoudien à rencontrer le pape Benoît XVI. En juillet 2008, il organise à Madrid une rencontre interreligieuse, rassemblant chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes et hindous. Une déclaration finale affirme l'unicité du genre humain, le refus du clash des civilisations, le rôle fondamental de la famille... Mais, faiblesse récurrente des représentants musulmans sur ces questions, elle ne fait aucune référence à la liberté religieuse, défendue systématiquement par le Vatican depuis Vatican II (1962-1965).
L'Arabie saoudite est aussi partie prenante du Forum catholique-musulman mis en place en 2008, entre le  Vatican et des responsables religieux de plusieurs pays musulmans, sunnites et chiites. Une deuxième rencontre se tient en 2011 en Jordanie, pays également impliqué dans le dialogue interreligieux. Ce créneau est aussi occupé par le Qatar. En quête de visibilité et se plaçant dans une forme de concurrence avec le royaume saoudien sur ces questions, l'émirat organise régulièrement des rencontres internationales interreligieuses. La prochaine se tiendra au printemps 2013.
A Vienne, le centre, financé durant trois par l'Arabie Saoudite, à hauteur de 15 millions d'euros par an est créé en coopération avec l'Espagne et l'Autriche. Il vise, selon ses promoteurs, soutenu par le Vatican et défendu par le rabbin David Rosen, responsable des affaires interreligieuses au sein de l'influent American jewish committee, et membre du conseil du centre, "à faciliter la compréhension interreligieuse et interculturelle, à respecter la diversité, la justice et la paix". Des jeunes de différentes religions pourront y suivre un programme de formation de quelques mois, tandis que des experts plancheront sur la manière dont les différentes religions sont présentées dans les autres confessions, dans le but notamment d'améliorer la présentation des religions dans les programmes scolaires.
Stéphanie Le Bars

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